de Nicolas Bouzou (économiste) et Julia de Funès (philosophe), Éditions de l’Observatoire, 2018
C’est LE livre dont on parle depuis plusieurs semaines : interview dans Management, articles dans le Figaro, dans le Monde (« quand le management déraille »), conférences, plateaux TV, grandes piles en évidence à la FNAC, …
Le constat des auteurs : alors que les entreprises devraient être le lieu du travail, de l’audace, du risque, de la convivialité, de l’innovation, beaucoup d’entre elles sont dominées par la peur, la bureaucratie, les process, les contrôles, les réunions inutiles et les managers incapables de manager, ayant perdu autorité et leadership. Et ceux-ci, perméables aux théories à la mode, masquent leurs insuffisances par des artifices creux comme des décors de théâtre : ainsi des séminaires ludiques (lancer de pelotes de laine, pâte à modeler et legos, escape games, voire fausse prise d’otages – qui s’est terminée devant les tribunaux), des babyfoots, de la vogue de la « gamification », de la quête du bonheur avec ses Chief Happiness Officers (CHO) et Responsables de la Qualité de Vie au Travail (QVT). Le résultat : au lieu d’attirer les meilleurs, les entreprises les font fuir, et ceux qui restent sont sujets aux trop connus burn-out, bore-out (ennui), brown-out (perte de sens).
Leur diagnostic : d’abord ce qu’ils appellent la « définalisation » de l’entreprise, qui n’est plus vue que comme une organisation technicienne destinée uniquement à satisfaire ses actionnaires ; les dirigeants sont souvent incapables d’expliquer le projet, cette perte de sens entraîne naturellement la démotivation, et c’est pourquoi on cherche à la combler par les artifices cités. Puis le management d’aujourd’hui est inadapté au monde actuel, car il repose sur des croyances souterraines dépassées : idéologie du contrôle et de la surveillance, idéologie de l’égalitarisme, idéologie du bonheur.
Les remèdes qu’ils proposent : d’abord revaloriser l’entreprise qui est souvent contestée (développement de l’ubérisation, valorisation des indépendants) ; l’entreprise reste le meilleur moyen de coordonner des actions humaines quand on vise un projet d’ampleur, surtout dans notre monde plus complexe et vivant. Puis parier sur l’autonomie et la confiance, en valorisant le travail individuel qui n’est pas incompatible avec le sens du collectif. Ensuite légitimer l’autorité (qui n’est pas le pouvoir), réévaluer le rôle du leader et valoriser le courage : l’entreprise n’est pas un parc d’attraction. Et enfin, retrouver du sens (ce qui n’est pas le plus facile) : faire partager un projet qui fait sens redonnera aux collaborateurs la motivation et même la joie (qui est une conséquence et non une injonction). L’ouvrage se termine par des principes et des conseils de bon sens : réduire les réunions inutiles, les chartes creuses, les powerpoints, les pointeuses, …
Notre avis : certes un ouvrage facile à lire, illustré d’exemples parlants, certains à la limite de la caricature (ce qui est dommage, car le comportement irresponsable de certains formateurs et coachs n’est pas représentatif de la profession). Le tableau est catastrophique, mais c’est la loi du genre. Gageons que toutes les entreprises n’en sont pas à ce point-là ! Les points de vue philosophiques sont intéressants car ils permettent de prendre de la hauteur. On trouve aussi une démolition en règle du Brainstorming, avec, pour une fois, des arguments philosophiques recevables, mais, une fois de plus, les auteurs réduisent le Brainstorming à l’affichage de post-ils au mur. Nous pourrions aussi nous sentir visés avec notre goût pour les activités ludiques, mais nous pouvons rester sereins, car nous ne les pratiquons jamais telles qu’elles sont présentées, vides de sens. Et justement, nous ne pouvons qu’adhérer aux grands principes évoqués, et surtout à celui de retrouver du sens : n’est-ce pas le propos de la démarche de vision ?